Augmenter le SMIC de 16%: une fausse bonne idée

First published: April 2016

Pour renforcer le pouvoir d’achat des travailleurs à bas salaire, Mélenchon propose d’augmenter le SMIC de 16%, et le justifie dans cette vidéo

https://laec.fr/section/30/augmenter-les-salaires

Mais il néglige le fait qu’une augmentation du SMIC aura un effet sur le chômage, en particulier pour les moins qualifiés, et que l’élévation du pouvoir d’achat risque d’être annulée par une hausse des prix à la consommation.

1) L’argument de la relance par la demande

En augmentant le pouvoir d’achat des salariés en bas de l’échelle des salaires, la hausse du SMIC pourrait relancer la demande agrégée, puisque ces ménages consomment en général une plus grande part de leur revenu que les ménages plus aisés. En période de chômage conjoncturel cela est une très bonne idée. Il y a fort à penser que cet effet aurait un effet important dans le court terme, malgré la hausse des prix présentés plus bas, car les prix mettront davantage de temps pour s’ajuster.

Cette effet de relance aura ses limites. L’une des principales limites est que l’économie française est extrêmement intégrée à ses partenaires européens et une partie de la demande supplémentaire profitera à nos partenaires. Une telle politique ne peut fonctionner que si elle est réalisée à l’échelle d’une zone relativement peu ouverte.

Un autre problème concerne l’effet sur nos exportations. La hausse potentielle des prix dégradera la compétitivité-prix de la production sur le sol francais par rapport à nos partenaires commerciaux au sein de la zone euro, puisque le taux de change y est par définition fixe. Cela diminuera la demande pour nos exportations. Les exportations françaises sont assez sensibles à leur prix, et une telle dégradation pourrait peser sur notre compétitivité pendant un certain temps.

2) Une hausse probable du chômage des travailleurs peu qualifiés

Comme le présente la vidéo, on peut espérer une augmentation du pouvoir d’achat des employés rémunérés au SMIC (au moins dans le court terme). Par un effet de demande, cela augmentera l’activité des entreprises et donc les embauches. Mais les 7 milliards d’euros par an supplémentaires de salaires annoncés seront une hausse d’autant du coût du travail pour les entreprises, qui vont en réaction réduire leur masse salariale.

Certes, les grandes entreprises pourront sans trop de peine s’acquitter des hausses de salaires (les emplois payés au SMIC ne représentent que 5% des grandes entreprises), mais ce poids sera beaucoup plus lourd pour les PME (dont 10% des employés sont au SMIC), en particulier pour les petites entreprises dans le secteur des TPE (25% de salariés au SMIC) (source: DARES).

Sans aides pour les PME, on a déjà une bonne idée de l’effet global sur l’emploi d’une augmentation du SMIC. Plusieurs études s’accordent (Kramarz-Philippon, Crépon et al, OFCE) sur environ 20000 emplois détruits pour une augmentation du SMIC de 1%. Un calcul simple (simpliste) prédit donc environ 300000 emplois détruits à la suite de l’augmentation de 16% préconisée par Mélenchon. Ces emplois détruits seront principalement ceux à bas salaires, et excluront plus de jeunes et de femmes du marché du travail.

Mélenchon l’a bien compris, et il propose donc d’aider les PME. L’innovation principale serait de créer un “fonds de solidarité inter-entreprises pour mutualiser la contribution sociale entre toutes les entreprises et les groupes pour soulager les PME et assurer la solidarité financière entre donneurs d’ordre et sous-traitants”. Il serait financé grâce à une contribution des entreprises selon un barème progressif. Autrement dit, la hausse du coût du travail serait reportée sur les grandes entreprises. L’idée est intéressante, mais même si elle permettrait de limiter l’impact sur les PME, les suppressions d’emplois seront reportées sur les grandes entreprises, pour lesquelles il est aussi plus facile de déplacer leur activité à l’étranger.

Le seul moyen d’éviter une augmentation importante du chômage sera une contribution importante de l’état pour alléger les cotisations salariales.

3) Une augmentation du pouvoir d’achat incertaine

En réaction à la hausse du coût du travail due au SMIC plus élevé, les entreprises ont deux options: diminuer leur profitabilité, ou bien augmenter leur prix de vente. En pratique, on s’attend à observer les deux. Si l’on peut penser que diminuer la profitabilité des grandes entreprises n’est pas forcément un problème, la hausse des prix peut contrebalancer la hausse du pouvoir d’achat.

On ne dispose pas d’études en France pour quantifier la hausse des prix due à l’augmentation du SMIC. En Hongrie, d’après un récent article (Lindner et al (2015)), la hausse spectaculaire (+60%) du salaire minimum en 2001 n’a pas eu d’effet sur la profitabilité des entreprises, et a été répercutée directement sur les prix à la consommation. Dans ce cas, retour à la case départ: la hausse du SMIC a simplement augmenté tous les prix, et le pouvoir d’achat est inchangé.

4) Mais que faire alors?

Comme le remarque Mélenchon, le SMIC est de 1140 euros net, à peine plus haut que le seuil de pauvreté (1008 euros). Les personnes sous ce seuil sont principalement les personnes sans emploi, ou au SMIC à temps partiel. Pour les aider, augmenter le SMIC est paradoxalement une mauvaise idée car cela va exclure plus de travailleurs encore du marché du travail. Il faut donc cesser de considérer le SMIC comme un outil redistributif, et renforcer les transferts moins dissuasifs pour l’emploi comme la prime d’activité.

Vouloir diminuer les inégalités des revenus est un très bon objectif. Mais encore faut-il le faire avec les outils les mieux adaptés. Modifier le salaire n’est pas le meilleur moyen car il a aussi des conséquences macroéconomiques potentiellement néfastes – le chômage. Ne touchons pas aux salaires mais augmentons la progressivité de l’impôt et les transferts aux bas salaires. Car ce qui compte pour un ménage, c’est le revenu qu’il touche après impôt et transfert, pas le salaire que l’entreprise verse. Certains diront que tout travail mérite un juste salaire ! Nous répondons que pour les emplois les moins qualifiés, ce juste salaire peut se construire comme la somme du salaire de marché et d’un salaire socialisé, transféré à travers l’Etat.

Références:

Kramarz Philippon 2001: https://pdfs.semanticscholar.org/9f31/daee28ea76342ef69a9a4b38320167b82e93.pdf

Crépon Desplatz 2001: http://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2001_num_348_1_7420

OFCE: http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2012/note22.pdf

Lindner Harasztosi 2015: http://faculty.chicagobooth.edu/workshops/micro/pdf/LindnerJMP.pdf