Les 35 heures, solution au chômage?

First published: January 2016

La réduction du temps de travail fait partie de ces symboles ridicules de l’affrontement entre les partis traditionnels de gouvernement. Historiquement, et dans les consciences, elle est inséparable des programmes de 1936, de 1981 et enfin du gouvernement Jospin à la fin du siècle dernier. Les 35 heures, dernière réforme du temps de travail, sont encore aujourd’hui sans cesse critiquées et débattues.

Deux principaux objectifs motivent la régulation du temps de travail : la volonté de réduire le chômage en partageant le travail et le désir de décentrer la vie du seul travail et bâtir une société dans laquelle celle-ci serait davantage tournée vers le loisir, la vie sociale et familiale. Dans cet article, nous nous intéresserons au premier objectif : la réduction du temps de travail peut-elle réduire le chômage ?

Contrairement à ce qui est souvent pensé, la régulation du temps de travail n’est pas une politique stricte qui interdirait à un individu de travailler davantage qu’un certain nombre d’heures par semaine, mois ou année. Tout d’abord, beaucoup de salariés continuent de travailler 39 heures et peuvent obtenir, en contrepartie des 4 heures supplémentaires par semaine, des RTT. Ensuite l’exercice d’heures supplémentaires – contingentées et majorées – est aussi légal. La majoration est de 25% jusqu’à la 43 heures et 50% au-delà. Enfin, ces règles ne concernent ni les cadres ni les travailleurs indépendants.   

Les estimations empiriques de l’effet du passage aux 35 heures apportent des réponses contradictoires et ne permettent pas de trancher si oui ou non les 35 heures ont réellement été la cause de la réduction du chômage au tournant du millénaire. Qu’en dit la théorie ?

Des différentes théories du chômage en macroéconomie

Le chômage est sans doute l’un des problèmes fondateurs de la macroéconomie moderne. De manière assez étonnante, il ne constitue aujourd’hui qu’un sujet périphérique, pour ne pas dire abandonné, de la recherche académique. Connait-on tout du chômage ? Non. Quelles théories avons-nous à notre disposition?

Tout d’abord, le premier concept de chômage est dit structurel parce qu’il reflète les difficultés d’appariement entre les firmes et les chercheurs d’emploi – car l’information circule mal sur ce marché, parce que la réallocation sectorielle et géographique prend du temps, parce qu’il coûte à une firme d’embaucher etc… Ensuite il existe un chômage « classique » dû à la présence d’un salaire plancher : le coût du travail est supérieur à son bénéfice du point de vue de l’entreprise, elle refuse d’employer un travail trop peu productif au regard de sn coût. Enfin il existe un chômage conjoncturel ou keynésien dû à des chocs de demande, mais celui-ci se résorbe dans le long-terme, en théorie bien sûr. 

La réduction du temps de travail avec un chômage classique (coût du travail trop élevé)

Soit une économie néoclassique standard, avec pour seule différence que le salaire minimum est supérieur au salaire d’équilibre, d’où la présence de chômage dans l’économie. Le nombre agrégé d’heures productives dans cette économie est déterminé à l’échelle macroéconomique par le salaire de base fixé par le gouvernement d’après la traditionnelle règle d’optimisation selon laquelle la dernière heure productive vaut pour l’entreprise exactement le salaire minimum. Le nombre agrégé d’heures donné, sa répartition s’effectue ensuite entre les différents travailleurs. Mécaniquement la réduction du temps de travail réduit le chômage d’autant.

Néanmoins, une légère subtilité mérite d’être précisée : si la première heure de travail est plus productive que la 39e heure – après tout c’est vrai qu’au bout d’un certain temps, on ne peut plus faire grand-chose – alors les quatre heures en moins de l’ancien travailleur seront plus que compensées par les quatre heures du nouveau et le nouveau n’aura qu’à travailler une heure. Les rendements marginaux décroissants du travail hebdomadaires font que la productivité horaire du travail augmente mécaniquement avec la réduction du temps de travail et qu’il y a donc une diminution du besoin de travailleur. Cet effet atténue grandement la réduction du chômage.

Un autre effet atténue la réduction du chômage : il coute plus cher de faire travailler deux personnes à 50% qu’une seule personne parce qu’il y a des coûts de recrutement, de gestion des ressources humaines et de coordination. Ainsi en « partageant le travail », la réduction du temps de travail indirectement rend le travail plus cher puisqu’il y a davantage de coût de gestion du personnel.  

La réduction du temps de travail avec un chômage de frictions

Dans un modèle avec des frictions sur le marché du travail à la Pissarides, le passage aux 35 heures implique principalement une baisse de la productivité hebdomadaire – quoique nous avons vu plus haut que l’amplitude de cette baisse était incertaine. Cette baisse a pour effet de réduire le nombre d’offre d’emplois, donc d’augmenter le chômage et de faire baisser les salaires – parce que les travailleurs perdent du pouvoir de négociation. Dans ce modèle, l’effet est clair et contre-intuitif (c’est aussi pour cela que les modèles sont utiles) : le chômage augmente suite aux 35 heures.  

L’analyse keynésienne du chômage

Le chômage keynésien se prête à la même analyse que le chômage classique étant donné que tous les deux partent de l’idée que le stock total d’heure est déterminé à l’échelle macroéconomique.

 Néanmoins, l’analyse keynésienne dans son approche plus générale met aussi en avant l’importance des effets de redistribution sur la détermination de la demande globale. En réduisant le chômage et donc – en toute vraisemblance – les inégalités de revenus, la réduction du temps de travail transfère de la richesse vers des individus qui ont sans doute une plus grande propension à consommer le revenu et par conséquence tend à augmenter la demande agrégée dans le court terme et ainsi relancer l’économie.

Enfin la réduction du chômage permet aussi de réduire les taxes sur les personnes en emplois qui finançaient les allocations chômage. Néanmoins, toutes choses étant égales par ailleurs, cette baisse de taxe ne compense – a priori – pas la baisse des salaires consécutifs à la baisse du nombre total d’heures travaillées.  

Réduction du temps de travail sans réduction du salaire hebdomadaire : vouloir le beurre et l’argent du beurre

La réforme Aubry prévoyait que les salaires des travailleurs ne baissent pas. Bloquer les salaires et réduire le temps de travail revient évidemment à augmenter le coût horaire du travail. Et par voie de conséquence à réduire l’emploi. Selon que l’offre d’emploi est plus ou moins sensible au coût du travail, il se pourrait même que la hausse du coût du travail et la hausse du chômage associée aient fait plus que compenser la baisse entraînée par la réduction du temps de travail.

Conclusion

En première approximation, l’intuition selon laquelle la réduction du temps de travail permettrait de partager le travail et de réduire ainsi le chômage semble justifier dans les modèles néoclassiques et keynésiens standards. Néanmoins, la hausse de la productivité horaire consécutive à la réduction du temps de travail et les coûts fixes de recrutement sont deux effets qui atténuent l’impact positif sur le chômage. De l’estimation de ces deux effets dépend l’assurance avec laquelle nous pourrons affirmer que la réduction du temps de travail est une solution au chômage. Enfin il ne faudrait pas oublier que, même si cette politique s’avérait efficace, elle ne s’attaquerait sans doute pas aux racines du chômage, et ne ferait qu’en traiter les symptômes.